Les Evênements du jeudi 10 septembre 1914


4h00
D’après des renseignements fournis par l’Escadron Divisionnaire, nos patrouilles de Cavalerie ont pu aller assez loin sans rencontrer l’ennemi dans les directions de Huiron, Glannes et le Nord-Ouest. Aussi, un ordre est immédiatement envoyé à la 47ème Brigade de lancer sur son front des patrouilles d’infanterie très prudentes, qui maintiendront le contact avec l’ennemi.

6h00
Le 100ème R.I. en exécution des ordres reçus est rassemblé à 300m au Nord des Petites Perthes, dans le ravin de la ferme, la droite sur la ligne Petites Perthes-ferme du Cul de Sac, à gauche à environ 600m. Les régiments du 2ème C.A.(272ème et fragments des 228ème et 91ème), 1 groupe d’Artillerie sont rassemblés face au Nord, à l’Ouest de la ferme Flumet. Ces régiments se portent à 6 h 15 à hauteur du 100ème , gauche appuyée à la ligne Grandes Perthes, Cense de Laborde, l’artillerie vient vers la ferme des Mandres.

Récit de Marc Bloch du 272ème R.I.

(avec l'aimable autorisation des Ed. A. Collin)

Le jour se levait. L'air était frais. La pluie venait de cesser. Les capotes humides étaient lourdes. Je n'avais plus sommeil. Notre lieutenant s'en alla vers le capitaine, ou le chef de bataillon, je ne sais plus et, revenu, nous dit "Vous allez vous battre. Il y a assez longtemps que vous en avez envie".
Les premières marmites arrivèrent en sifflant. Elles tombaient à quelques centaines de mètres de nous, dégageant de grosses fumées noires. Une vache fut tuée, et un homme qui se trouvait près d'elle. Puis, nous reprîmes la marche en avant, franchissant la route et montant le versant opposé à celui par où nous étions venus. Nous dépassâmes une ligne de tranchées qu'occupait un autre régiment, le 100ème je crois.
Nous avions ce jour-là, sous un feu extrêmement violent de grosse artillerie et de mitrailleuses, progressé de quelques kilomètres, trois ou quatre sans doute, depuis dix heures du matin, jusqu'à six heures du soir. Nos pertes furent très fortes; elles montèrent pour ma compagnie, qui ne fut pas la plus éprouvée, à plus du tiers de l'effectif. Je ne sais si ma mémoire me trompe, mais il ne me semble pas que le temps m'ait paru très long.
Les balles des mitrailleuses bruissaient à travers les branches comme des essaims de guêpes. Les lourdes détonations des obus ébranlaient l'air, suivies par le chant que font les éclats en retombant après l'explosion. La fusée du shrapnell, en particulier vibre doucement en tournoyant dans l'air et ne se tait, brusquement, qu'à la fin de sa chute. Combien en ai-je entendu ce jour-là, de ces funèbres mélodies! Je rentrais la tête dans les épaules et j'attendais que vînt le silence, et peut-être avec lui le coup meurtrier. Je me souviens avoir remarqué pour la première fois que les fumées des obus fusants ont une couleur ocre, à la différence de celles des percutants, qui sont très noires.
Mon voisin, un caporal, fut touché au bras et au genou. L'autre sergent de la section et moi-même nous nous mîmes en devoir de le panser, mais nous fûmes nous-mêmes atteints, mon collègue assez sérieusement à la cuisse, moi très légèrement au bras droit. La balle, après être entrée dans la manche, eut le bon goût d'en ressortir tout de suite et ne fit que me brûler la peau. Comme la douleur fut très vive, je me crus d'abord sérieusement blessé. Mais je me rendis compte, bien vite, que ce n'était rien.
Vers ce moment-là il y eut dans notre section une sorte de panique, causée, autant qu'il m'en souvient, par les chevaux des mitrailleuses. On avait mené assez sottement les pièces jusque-là et on chercha à les mettre en batterie, ce qui, sous une pareille mitraille, n'était guère possible. Les bêtes s'affolèrent et jetèrent le trouble parmi nous. Je me vois encore courant, debout, devant deux chevaux que je cherchais à éviter et qui, je ne sais pourquoi, apparaissent dans ma mémoire comme prodigieusement grands.

A l'Est, les batteries du 42ème R.A.C. sont envoyées sur Cheminon, elles sont accueillis par des mitrailleuses allemandes, situées dans les maisons forestières "Jean-le-Gand".

8h40
Le Commandant du 12ème C.A. donne l’ordre à la 48ème Bde d’attaquer à 9 h 30. L’A.L. battra à partir de cette même heure la région au Nord de la voie ferrée, le mamelon 186 (Ouest de Huiron) occupé par l’Artillerie ennemie et le terrain à l’Est jusqu’à la cote 144 et la Cense du Puits. Sauf ordre contraire, elle cessera son tir à 10 heures. L’Artillerie de Campagne ouvrira le feu à 9 h 30 sur la ferme du Cul de Sac, la ferme 119 (cense de la Borde) et le terrain au Nord. Une intime liaison sera constamment maintenue entre l’Artillerie et l’Infanterie. Au même moment, la 47ème Brigade rend compte que les patrouilles envoyées sur le front par le 126ème et le 107ème signalent la présence de l’ennemi dans Courdemanges et les bois au Sud et à l’Ouest. Derrière le village, il y aurait, parait-il, une Brigade d’infanterie ennemi avec de l’artillerie.

Dans la matinée, le village de Sompuis est bombardé par l'artillerie ennemie, le brancardier Chaumartin du 7ème R.I., se porte au secours du Général Barbade, de la 25ème Brigade. Chaumartin
(Après une reconnaissance géographique sur le terrain, il semble peu probable qu'un obus allemand soit responsable de la mort de l'état-major de la 25ème brigade. Certaines sources orales, ont évoqué qu'une batterie française aurait ouvert le feu pensant voir déboucher de la voie de chemin de fer, une troupe allemande...)

Le Colonel Arlabosse de la 45ème Brigade, fait connaître des difficultés sur la cote 194 (Nord-Ouest d'Humbauville). Dès 9 heures le P.C. de la 23ème D.I. se trouve au Meix-Tiercelin.

11h40
Un télégramme du G.Q.G. fait savoir que les Allemands battus devant notre gauche sont en retraite et ont repassé sur la rive droite de la Marne, sur laquelle ils n’ont pu organiser de ligne de résistance.

12h00
Les positions du 300ème R.I. sont canonnées par l'artillerie ennemie. Un 210 tombe sur la compagnie du Lieutenant Cisterne, faisant plus de 15 victimes, un autre tombe devant le lavoir de la petite rivière "Cheronne", tuant net le Commandant de Castellane, ainsi que le Sergent fourrier Gimazane et le Caporal Lacorre.

12h30
Le 138ème R.I. entre dans le village de Sompuis, il est immédiatement bombardé par l'artillerie allemande.

13h00
Le tir de l’artillerie ennemie est toujours très violent et le 100ème est fortement battu sur la crête qui domine la voie ferrée à 600m au Sud. L’ennemi a révélé une batterie et de l’Infanterie dans les fonds de la Cense de la Borde, il semble tenir une maison près de la voie ferrée et la voie elle même. Dans l’après-midi les Obusiers allemands font beaucoup de mal au 326ème, sur la côte 153. Les pertes sont sérieuses.

15h00
La 45ème Brigade arrive à Sompuis, mais la ferme de la Galbodine occupée par des mitrailleuses et de l'infanterie ennemie arrête la progression en direction de la voie ferrée.

18h30
La brigade du Colonel Jacquot s’est emparé de la cote 130 (Ouest de Courdemanges) et de Montilleux, que ses troupes mettent en état de défense. L ’air de Châtelraould est empuanti, la pestilence commence. Il est urgent d’assainir le champ de bataille. On s’y emploie et le service de l’arrière envoie des Cies Territoriales (36ème) qui se mettent à l’oeuvre.

20h30
Du côté allemand, le commandant du XIXème A.K. reçoit l’ordre de ne pas exécuter l’attaque de nuit projetée, en vue d’un repli sur la rive droite de la Marne.

23h00
A Sompuis en fin de journée, le 21ème Bataillon de Chasseurs à Pied borde la voie ferrée de part et d'autre du passage à niveau. Un régiment de la Garde Saxonne (IIIème Armée) s'avance sans bruit, croyant surprendre le bataillon et le rejeter au-delà des crêtes de l'Ormet. Mais le Sergent Colas les a aperçu et se porte en avant pour éviter toute surprise, il crie "Tirez ! ce sont eux, je les vois". Immédiatement l'alerte est donnée, et la première attaque allemande est stoppée. Ils parviennent cependant à s'installer de l'autre côté de la voie ferrée. L'Adjudant-Chef Bonhotal se porte avec quelques chasseurs dans la maison du passage à niveau et prenant d'enfilade la voie ferrée, tire comme à la cible sur les allemands. La seconde attaque est enrayée.

 

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