Récit de M. Claudius Chaumartin
Brancardier au 17ème R.I.

 

"La mort du Général Barbade et de son état-major"

Jeudi 10 septembre 1914

"Nous avançons et quittons ce camp de Mailly où nous avons tant enduré la soif et nous arrivons sur une route. Nous y trouvons le général Barbade qui se démène comme un beau diable. A notre droite se, trouve un village nommé Sompuis, un peu plus haut la voie ferrée, et on nous dit que notre bataillon est derrière le talus de la ligne. Nous avons une distance de 7 à 800 mètres à parcourir sous le feu intense des obus, mitrailleuses et balles. On n'a guère le loisir de se retourner, mais on ne peut s'empêcher de voir des morts dans ce grand champ dénudé où beaucoup de blessés nous appellent.
Un bombardement effroyable, avec obus de gros calibre que nous n'avions jamais vus a commencé depuis un moment sur le village de Sompuis qui est juste derrière nous. Je trouve le brancardier Aubry qui soutient le lieutenant Vuidard de la 5e Cie qui est blessé. Le poste de secours est établi à la gare de Sompuis mais on ne peut songer à s'y rendre.

Je finissais de panser un officier de mon régiment lorsqu'un sous officier de chasseurs à cheval attaché à la brigade, blessé arrive en marchant péniblement et me demande s'il y a un volontaire pour aller relever le Général et ses officiers d'Etat-Major tous touchés par le même obus.


 

 

 

 

Je pars seul et quand une centaine de mètres plus loin dans la direction de Sompuis, je vois des hommes couchés, et des chevaux éventrés autour d'un gros trou d'obus en demi cercle à 50 mètres à gauche le long du talus du chemin de fer sont étendus.
Autour du trou, sont étendus le général Barbade, un colonel, 2 commandants, un capitaine, le lieutenant Forestier et un autre officier. C'est effrayant!
Les uns ont la moitié de la tête emportée, d'autres un bras ou une autre partie du corps et tous sont déjà tout noir. A l'exception du général qui respire encore, tous les autres sont morts. Le capitaine Chabeaudis du 17e qui était avec eux a été grièvement blessé. En même temps que moi arrivent d'autres brancardiers et un médecin auxiliaire. Le général Barbade a un trou comme un poing, au dessus de l'œil et une jambe brisée, sans compter les blessures que nous ne voyons pas. Avec des fusils, et des morceaux de bois on immobilise la jambe tant bien que mal.
A 5 ou 6 mètres devant nous contre une palissade, se trouve un sergent major de chasseurs à pied grièvement blessé par le même obus. On pansait le général lorsqu'un coup de revolver retentit. C'était ce malheureux qui venait de s'achever sans que l'on ait eu le temps de l'en empêcher.
Un commandant d'artillerie arrive, et nous fait fouiller tous les cadavres. On prend aussi tous les papiers du général. Il nous fait enlever tous les écussons et brassards des officiers de la brigade pour que les boches ne s'aperçoivent pas qu'ils ont tué un état major.
Comme nous n'avons point de brancard, nous mettons le général dans une couverture, et nous portons par chaque coin. Quand on remue trop le général, il ne peut que crier " oh, ma jambe ".
Nous le portons comme ça a peu près 2 ou 300 mètres, mais nous n'en pouvons plus car il est lourd. Nous avons un tableau effrayant devant les yeux. Des caissons complets de ravitaillement d'artillerie sont au travers de la route. Conducteurs et chevaux sont pêle-mêle et tous tués. Nous ne pouvons plus,porter le général, aussi nous le chargeons sur un caisson et j'ai appris qu'il était mort un moment après."

Extrait du carnet de route de M. Claudius Chaumartin
Brancardier au 17ème d'infanterie en garnison à Epinal
5 citations : Croix de guerre et Légion d'honneur en 1970.
remerciements M. R. Chaumartin

  Vers 10 septembre