Journal du Maréchal des Logis ALBERT Eugène
29e régiment d’artillerie, 8ème batterie

 

Dimanche 6 septembre

A 4 heures départ, nous refaisons en sens inverse une partie de la route parcourue hier, jusqu’à Perthes puis nous tournons à gauche et nous suivant la route nationale de Paris à Strasbourg ; Nous nous dirigeons sur Vitry le François nous traversons Orconte ou on y installe une ambulance et vers 14 heures nous arrivons à Thiéblemont à 13 Km de Vitry le François nous installons le bivouac les chevaux restant attelés. 

Le chef d’escadron nous lit un ordre du général Joffre, lequel disait qu’une grande bataille allait avoir lieu, qu’il faudrait tenir coûte que coûte et aux besoins se faire tuer sur ses positions plutôt que de reculer .

Nous étions heureux de savoir que l’on allait bientôt recommencer à se battre, car nous en avions assez de marcher vers l’arrière et le moral des hommes en souffrait un peu, c’est dans ces cas là qu’il faut savoir les prendre pour les faire marcher, pas un des miens ne flanchait et ils étaient même plutôt blagueur et en cela je leur donnais l’exemple, malgré que j’étais rongé d’inquiétude de ne pas avoir de nouvelle de ma petite Lolotte et de Georges, mais le pauvre Catroux, lui se laissait abattre il était triste comme une porte de prison et j’avais beau lui lâcher des boniments, rien ne parvenait à le dérider.

Donc très joyeux nous regagnons notre popotte et c’est en chantant que nous avons avalé nos pommes de terre cuites au lard et un bon bifteck. Puis nous sommes allés nous reposer dans grange voisine car il est bien recommander de ne pas s’éloigner, avant de nous coucher nous montons sur une petite crête et nous apercevons des lueurs de huit grands incendies ce sont encore des villages auxquels ces sauvages ont mis le feu.

A côté de nous des hommes du 147ème creusent des tranchées et ils y mettent de l’ardeur les gars. Nous regagnons notre grange pour faire un somme car demain il faut être d’attaque, on se souhaite bonne nuit et on se plonge dans les bras de Morphée.

 

 

 

 

Lundi 7 septembre

Dès 3 heures tout le monde debout et nous nous tenons à nos postes en attendant les ordres, au bout d’un moment, impatients nous allons aborder le capitaine qui se trouve avec le lieutenant pour savoir s’ils connaissent quelque chose de la situation mais tout comme nous ils attendent les ordres.
Au bout d’un moment le lieutenant me demande si je n’ai pas un chasse brouillard pour lui et le capitaine, car il sait que j’ai toujours une réserve, au bout d’un moment je reviens avec un litre de marc, j’en fais la distribution à ceux qui se trouvent là et nous trinquons à notre prochaine victoire.
A 4 H 30 on demande le personnel de reconnaissance, 1/ 4 d’heure après nous nous mettons en route, nous traversons Thiéblemont au grand trop et nous mettons en Bie (batterie) à la sortie ouest du village – face à Vitry le François – 50 m devant nous, nous avons Farémont et 20 m derrière Thiéblemont – à 5 heures nous ouvrons le feu et le réglage terminé nous tirons à toute volée, nous tirons 18 coups par pièce en 1 heure et demie. L’artillerie allemande ne répond pas beaucoup, aussi 2 servants par pièce en profitent pour faire des tranchées.
A la fin de la journée aucune perte. Le soir nous couchons sur les positions après avoir mangé la soupe que les hommes de l’échelon nous avaient préparé car nous n’avions pas eu le temps de nous en occuper.

Mardi 8 septembre

Dès la pointe du jour la lutte reprend de plus belle, les marmites nous sonnent le réveil ainsi que le bruit de ferraille des 77. Leur tir est très bien réglé sur le 4ème groupe qui subit pas mal de pertes, d’abord le lieutenant Maturier (10e) est tué je vais communiquer un ordre au Commandant Journel, je suis obligé de traverser Farémont en feu sur lequel s’abat une pluie de projectile, je rase les murs croulants et j’arrive à mon but, ma mission accomplie je reviens tranquillement à mon poste, comme je passais devant l’église deux projectiles éclatent dans la cloche.

Peu de temps après le Capitaine Clerc (11e) est blessé à la cuisse et à l’épaule.
L’adjt Vivien (11e) blessé également à l’épaule. Les maréchals des logis Moreau et Gelé de la 12 sont blessés à la tête, Boudréaux (11e) est décapité net. Pas mal d’hommes sont tués ou blessés.

L’ordre arrive au 4e groupe ses pièces et de se retirer derrière Thiéblemont, c’est alors que le servant Lagrange dit la grenouille s’est distingué en allant lui seul déclaveter les pièces.

Vers 15 heures ce fut à notre tour à prendre un peu sur la pipe, Dailly qui était resté avant nous pour faire la caissette s’en va rejoindre les avants trains pour être prêt à tout, au moment ou il arrive sur la route il est renversé par l’explosion d’un projectile, nous le croyons blessé mais non il se relève indemne. Le brig Lambert est tué par une balle de 77 qui lui fait sauter la cervelle, c’est notre premier mort dix chevaux sont tués également.
Voyant cela Dailly fait changer de place aux avants trains, une ½ plus tard un 110 vient éclater sur le timon d’un avant train et tue 5 chevaux, par un (mot rayé) miracle aucun conducteur n’est touché. Pendant ce temps nous continuons à tirer dare dare et les 77 tombent sans arrêt sur la Bie (Batterie) mais en sans souci le moins du monde. Nous sommes aussi calmes qu’aux écoles à part quelques uns dont je ne veux pas citer les noms. La nuit arrive et nous tirons toujours, nous sommes aveuglés par lueurs des obus explosifs et par celles des éclatements de 77. C’est un vrai tintamarre on ne s’y entend plus.
Enfin à 20 heures tout rentre dans le calme, on a encore dans les oreilles le bruit de la canonnade tellement celle-ci a été violente. Devant nous Farémont continue à brûler. Thiéblemont lui aussi subit le même sort de même que Favresse à notre droite.

Les avants trains viennent se placer à proximité de la Bie pour passer la nuit. Les hommes de l’échelon arrive peu de temps après avec la soupe, ils sont un peu inquiet sur notre sort mais se réjouisse vite en apprenant que nous n’avons pas eu d’autre perte que le pauvre Lambert. Aussi vite on va chercher sa fourchette et on oublie vite les fatigues de la journée devant le rata qui fume. Ce soir je suis de garde.

Baillard me dit attention, « ouvre l’œil ». Tu peux dormir tranquille, ainsi que les copains lui répondis je. Que ces heures de veille semble longue, car il ne faut se laisser surprendre.

Vers 1 heure du matin, une des sentinelles crues apercevoir quelque chose, immédiatement elle vint me prévenir, car elles ont ordre de ne pas tirer avant de m’avoir rendu compte à moins qu’elles ne soient surprises. Je prends un fusil ramassé dans la journée et nous voila partis en rampant pendant 100 m. Au bout d’un verger, l’homme (mot rayé) Cardon (?) m’arrête et me dit tenez regardez maréchal des logis et son bras m’indique le sommet de la crête mais je ne distingue rien.

Tu te trompes lui dis –je, mais lui toujours obstiné mais non regardez bien. Je regarde bien et je vois que ce qu’il prenait pour des ombres, n’était autre qu’un champ de luzerne qui ondulait sous le vent. Je lui fis remarquer, mais pour ne pas les départir de sa surveillance, je lui dis vous avez tout de même bien fait de me prévenir car avec eux il faut s’attendre à tout et je rejoignais la tranchée qui me servait de poste.

Rien de particulier le reste de la nuit et silence complet
4e groupe venu chercher son matériel.

 

 

Mercredi 9 septembre

Comme elles l’avaient déjà fait la veille dès 5 heures les marmites sonnent le réveil.

Le pauvre Florentin qui venait de se réveiller et à peine sorti de sa tranchée est tué au moment où il regagnait son poste, la marmite est tombée à 20 m de lui. Le S /LT Boquet qui était à 3 m de l’endroit ou le projectile a éclaté n’a pas une égratignure.

La lutte continue acharnée mais nous tenons bon.

Vers midi, le bombardement de Thiéblemont recommence de plus belle. Le Colonel Aubry (Paul-Omer) est tué alors qu’il examinait un fusil Mauser. Le capitaine Armand subit le même sort. Le général Lejaille et le lieut. Colonel Pierre sont grièvement blessés. Un sergent et 8 hommes du 91e qui traversaient le village sont tués aussi. Le soir nous couchons encore sur le terrain.


 

 

 

 

Jeudi 10 septembre

Deruelle qui était en poste d’observation fut tué également ayant eu une partie du crâne enlevée et aussitôt je pense à sa femme à qui nous avions si bien promis de lui ramener, que va-t-elle dire pauvre femme.

Nous apprenons que notre infanterie progresse et que tout va pour le mieux. L’après midi la pluie se met de la partie gare ce soir il va faire bon coucher dehors.

A 11 heure, je vais porter au chef d’escadron de la part du Colonel du 147e c’est pour lui signaler qu’une forte colonne débouche de Vauclerc allant sur Ecriennes. Mais à peine arriver à la crête je suis salué par une salve de 77.

Immédiatement je me jette à terre et je laisse passer la rafale. Puis au pas de course je continue ma mission et j’arrive près du Commandant qui me remercie. Je rejoins mon poste quand une 2e salve fait son apparition, je me rejette à terre, dans ces moments là on ne regarde pas si l’endroit où l’on se couche est propre, puis je repars je n’avais pas fait 25 m qu’une 3e rapplique pour la 3e fois à terre et me relevant j’aperçois un sac de fantassin.

Je me le colle dans le dos et je me dis advienne que pourra à la 4e et dernière salve j’ai continué ma route tranquillement et je suis arrivé à mon poste, ça ne fait rien, ils n’ont pas peur de gâcher la marchandise ces oiseaux, brûler inutilement 24 obus pour un seul bonhomme. Pendant ce temps là, les camarades de la Bie et de la 7e prévenus par téléphone du Comd faisait un tir fauché à obus explosifs sur cette colonne, puis tout rentra dans le silence.
Le soir avec six hommes, je m’en fus enterré ce pauvre Duruelle.

Le Capitaine et toute la Bie, sauf la garde des pièces, le conduisit jusqu’au cimetière ou le Capitaine un petit discours qui nous remua ; puis nous fîmes un fosse près de celle du Colonel et nous le plaçons sur une bonne couche de paille et mêmes quelques planches sur lui , une fois la fosse refermée, nous plaçâmes dessus un pot de fleurs et un petit drapeau trouvé dans l’église, nous avons mis un également sur la tombe du Colonel et du Capitaine Armand et un aussi sur la fosse commune du sergent et des 8 hommes du 91e. Puis nous regagnâmes nos pièces en repassant au milieu de l’incendie de Thiéblemont. J’étais tout triste car je me demandais ce que deviendraient ma lolotte et mon Georges si pareil malheur leur arrivait, mais je chassais vivement ces sombres pensées, mais le pire c’est que l’eau se remettait à tomber, triste nuit que celle-ci passée dans la boue.

Vendredi 11 septembre

La journée fut à peu près calme, l’infanterie allemande bat en retraite, son artillerie seule la protège, nous en profitons pour faire un tour sur le champ de bataille et enterrer nos morts.

A 15 heures, la pluie se remet à tomber, à 18 heures nous quittons nos positions pour nous porter en avant et nous logeons à Heiltz Le Hutier, mais le village est presque désert.

 

 

 

 

 

Samedi 12 septembre

A 5 heures départ, nous poursuivons notre marche en avant nous traversons le champ de bataille, quels tableaux tous les villages que nous traversons sont rasés, ils sont tous subis le même, ce sont Maurupt le village fut où lieu de sanglants combats le village fut 3 fois par nos troupes, les rues sont encombrés de cadavres, Pargny s/ Saules où les gens nous avaient fait un accueil très chaleureux en passant, il n’y restait plus que la gare, et enfin Heiltz le Maurupt, notre marche derrière l’infanterie est très lente , enfin à 19 heures nous arrivons à Bettancourt.

Je me couche dans la ferme du maire, le pauvre homme a failli être fusillé 2 fois par les boches, il pleut tellement que nous ne faisons pas de cuisine et nous nous couchons sans manger.

 

Extrait du carnet de route du Mal des Logis Albert Eugène
au 29ème régiment d'artillerie
remerciements M. et Mme Savary et M. Letombe

  Vers 10 septembre